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Une controverse australienne sur les Aborigènes

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Comment vivaient les Aborigènes avant l’arrivée de colons britanniques en 1788 ? Etaient-ils des chasseurs-cueilleurs ou des agriculteurs ? La question n’a rien d’anodin dans un pays où la colonisation a été justifiée par le principe de la Terra nullius, un « territoire sans maître » dès lors qu’il n’est pas exploité. En 2014, Bruce Pascoe avait déchaîné les passions en affirmant dans son ouvrage Dark Emu (« l’émeu noir », Magabala Books, non traduit) du nom du dromaiidé qui peuple le bush australien – que les Aborigènes possédaient les signes d’une société agricole.

L’auteur s’appuie sur les journaux de bord des premiers colons européens pour raconter comment les peuples autochtones semaient, récoltaient, irriguaient et stockaient leurs récoltes. Il décrit des méthodes de pêche sophistiquées ou des habitats regroupés sous forme de villages. Conclusion : ils n’étaient pas de « simples » chasseurs-cueilleurs.

Ce livre a vu s’affronter, de façon attendue, les ultra-conservateurs dénonçant une réinvention de l’histoire, et les progressistes saluant un ouvrage qui éclairait d’un jour nouveau des cultures souvent caricaturées. La polémique vient de rebondir avec le livre Farmers or Hunter-Gatherers ? The Dark Emu Debate  agriculteurs ou chasseurs-cueilleurs ? Dark Emu en débat », Melbourne University Press, non traduit), de l’anthropologue Peter Sutton et de l’archéologue Keryn Walshe. Ces chercheurs de renom, spécialistes des peuples premiers australiens, s’écartent des postures politiques pour camper sur le terrain scientifique.

Un récit tendancieux

Leur jugement est sévère. Dark Emu est selon eux le résultat d’un « travail de recherche peu approfondi, qui déforme et exagère de nombreux points (…) et ignore de larges pans d’informations qui ne soutiennent pas les opinions de l’auteur ». Les chercheurs soulignent le « manque d’une réelle expertise » de l’écrivain. Bruce Pascoe, d’ascendance britannique et aborigène, fut enseignant, agriculteur ou encore chercheur en linguistique. Les deux scientifiques regrettent son choix de retenir pour seules sources des journaux rédigés par des colons peu au fait des traditions autochtones et l’accusent d’avoir tronqué plusieurs citations afin de servir sa thèse.

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Enfin, ils lui reprochent de desservir la cause des peuples premiers en adoptant une lecture « eurocentrique » de l’histoire qui hiérarchise les cultures en plaçant les sociétés agricoles au-dessus de celles de chasseurs-cueilleurs. Selon Peter Sutton et Keryn Walshe, les Aborigènes avaient été exposés à des sociétés agricoles mais n’en avaient pas adopté le mode de vie car il ne correspondait pas à leurs croyances ni à leurs pratiques. « Ils avaient développé leur propre façon de gérer et d’utiliser leur environnement qui allait au-delà de simplement chasser ou cueillir mais qui n’impliquait pas de jardinage ou d’agriculture. Ils fonctionnaient d’une manière écologique et travaillant avec leur environnement, plutôt que, comme souvent, contre lui », concluent les deux experts.

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via LeMonde

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