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En Russie, des « candidats » prennent le nom d’un adversaire pour lui enlever des suffrages

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LETTRE DE MOSCOU

Une affiche électorale en prévision des élections législatives, sur une route à Omsk, en Russie, le 13 août 2021.

Les élections législatives russes n’auront lieu que dans un mois, le 19 septembre, mais souhaitons d’ores et déjà bon courage aux électeurs de la circonscription 216 de Saint-Pétersbourg, en particulier à ceux qui auraient envie de voter pour le candidat libéral Boris Lazarevitch Vichnievski.

Un moment d’inattention et voilà qu’ils pourraient glisser dans l’urne un bulletin au nom de Boris Ivanovitch Vichnievski ! Une seconde de déconcentration, des lunettes oubliées et, malheur, leur vote ira à Boris Guennadievitch Vichnievski.

Pour ceux qui auraient du mal à suivre, récapitulons : le premier, Boris Lazarevitch Vichnievski, 65 ans, est une figure bien connue de la scène politique pétersbourgeoise, défenseur des droits de l’homme à l’époque soviétique, élu local depuis 1990. Pour ce scrutin, il se présente sous la bannière du parti Iabloko. A l’aune de cette vieille formation libérale tolérée par le Kremlin, Vichnievski est un radical : il n’hésite pas à réclamer le départ de Vladimir Poutine.

Un parfum vintage

Le deuxième Vichnievski, Boris Ivanovitch, est quant à lui candidat des Verts, et le troisième, Boris Guennadievitch, est un indépendant. Et pourtant, les deux hommes sont inconnus au bataillon. Aucune trace sur Internet ou ailleurs de leurs engagements politiques passés ou même de leurs études… Et pour cause : selon les conclusions du journal Novaïa Gazeta, les deux ont changé de nom spécialement pour grignoter quelques voix au vrai Boris Vichnievski.

S’il peut faire sursauter un lecteur français, le cas Vichnievski ne provoquera pas plus qu’un haussement d’épaules de l’électeur russe. La pratique du « candidat spoiler » aura même pour lui un léger parfum vintage, une réminiscence du passé. De fait, cette manipulation a connu son heure de gloire dans les années 1990 et 2000, celles de la démocratie balbutiante et chaotique.

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Pour les chanceux portant un nom recherché, c’était un moyen de gagner un peu d’argent. Certains en ont même fait profession, prêts à changer d’identité autant que nécessaire. Pour les candidats peu scrupuleux, c’était un avantage non négligeable, moins coûteux qu’un achat de voix.

La pratique des « doubles » n’est pas spécifiquement russe. En Ukraine, lors de l’élection présidentielle de 2019, on trouvait encore, à côté de la candidate Ioulia Timochenko, un inconnu portant le (vrai) nom de Iouri Timochenko.

Mais en Russie, justement, cette pratique était tombée en désuétude. La « technologie politique », comme on désigne dans l’espace post-soviétique ces 1 001 manipulations, n’a pas tout à fait disparu, mais le Kremlin a vu les choses en grand : sous la houlette du redoutable Vladislav Sourkov, ce sont des partis entiers qui ont été créés, pour conserver l’apparence du pluralisme et garder sous contrôle les voix d’électeurs de sensibilités différentes.

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